L’impact du Covid sur le marché de l’art
Rétrospective 2020 - Le marché des beaux-arts prend froid
En 2020, la pandémie a grippé le monde économique dans sa globalité et le marché de l’art n’a pas été une exception, d’autant que dès les prémices, le monde culturel s’est avéré être un secteur non essentiel pour les gouvernements. L’interdépendance du marché mondial laissait même les observateurs parier sur un fort recul du marché de l’art pour 2020.
2 ans après le début de l’épidémie, nous vous proposons une rétrospective sur la façon dont le marché de l’art s’est effectivement comporté et sur les réactions de tout un secteur pour limiter l’impact d’une crise inattendue.
L’apparition des symptômes
Le premier semestre 2020 a vu le marché international plonger de 22% par rapport aux résultats de 2019. Le ralentissement observé les 6 premiers mois de 2020 fut si brutal que les prévisions annonçaient un marché de l’art revenu au niveau de l’année 2009/2010, dernière grande récession connue pour le secteur.
À l’image de la pandémie, le recul accusé par le secteur de l’art a été mondial, impactant sévèrement les trois places majeures de la vente d’art : les États-Unis, l’Angleterre et la Chine.
D’un point de vue global, le diagnostic des résultats du premier semestre 2020 indiquait des tendances très inquiétantes pour tout le secteur. Alors que l’Occident accusait une chute de -60%, la Chine a vu son marché reculer de -91%.
En dépit des sueurs froides ressenties par l’ensemble des acteurs, il fallait s’atteler à trouver le remède qui allait endiguer le mal et redonner de la vitalité à un marché, malgré lui, paralysé.
La source du mal
Aussi surprenant que ce soit, le secteur créatif a dû entamer une analyse méthodique pour apporter la réponse la plus adéquate à une situation jamais vue. Deux constats ont été à la base de la réponse qui allait permettre un rétablissement miraculeux du patient.
D’abord, le contexte sanitaire allait manifester une observation rassurante. À l’inverse de 2009, le recul n’a pas été le fait d’une crise financière et d’une perte de liquidité côté acheteurs. Concrètement, c'est avant tout les mesures de confinements et de fermetures généralisées qui ont refroidi le marché en 2020.
Aux fermetures obligatoires des lieux de vente, il fallait ajouter la réaction des acheteurs. Comme attendu, ceux-ci ont adopté la posture de prudence inhérente à toute forme de crise. Et ainsi, même si les fonds étaient disponibles, les collectionneurs ont préféré postposer leurs acquisitions jusqu’à des temps plus rassurants.
Un premier constat est donc apparu de l’analyse du mal : les liquidités sont disponibles et les intentions d’achats restent. Ce socle était suffisamment rassurant pour procéder aux changements qui allaient d’une part rassurer le marché et d’autre part permettre l’impulsion nécessaire pour rattraper le retard accusé durant un premier semestre catastrophique.
Le deuxième constat est apparu suite à une inévitable introspection du secteur : le fait d’avoir tardé à procéder à leur transformation digitale allait demander à de nombreux acteurs de mettre les bouchées doubles pour opérer le pivot vers les technologies numériques.
Ainsi, pour amorcer l’inversion de la tendance provoquée par la pandémie, un pan complet du marché de l’art allait devoir se réinventer afin de proposer une expérience digitale suffisamment convaincante pour que les acheteurs dépassent leurs inquiétudes.
Une période de récupération encourageante
Tout compte fait, l’année 2020 se terminera sur une note positive.
D’abord, suite à une mutation digitale opérée dans l’urgence, les collectionneurs ont réinvesti le secteur dès le début du deuxième trimestre.
Par ailleurs, ce retour d’activité a été fulgurant. Durant les 6 derniers mois de 2020, les ventes se sont littéralement emballées, voyant la réalisation d’acquisitions records aussi bien en Occident qu’en Orient.
Il nous appartient de saluer le dynamisme des marchands d’art qui par leur pugnacité ont permis ce rétablissement. En effet, ces derniers ont dépensé une énergie considérable pour soutenir l’activité et défendre un secteur culturel occulté par l’urgence sanitaire.
Ainsi, après un premier semestre catastrophique, l’année 2020 se termine sur une hausse de 7% en Occident et de 71% en Chine.
Ces résultats inespérés se révèleront être les prémices d’une année 2021 de tous les records.
Triptyque de Francis Bacon "Inspiré de l'Orestie d'Eschyle" - Photographié chez Sotheby's
Les effets surprenants du Covid sur le marché de l’art
Si les acteurs du marché des beaux-arts peuvent se féliciter d’avoir sauvé leur secteur d’activité, force est de constater que les efforts consentis ont également profité d’effets positifs, pour le moins, inattendus.
Effet N°1 : Les millenials à la rescousse du secteur de l’art
En choisissant de se tourner vers les technologies digitales, le marché de l’art s’est fait remarquer par un public de millenials qui a marqué un intérêt croissant pour les beaux-arts. Si bien que le taux de vente sur Internet a doublé durant la période 2020 -2021.
Bien que la transformation digitale ait d’abord été profitable aux grandes maisons de vente aux enchères, il est à noter que le jeune public s’est d’abord porté acquéreur de pièces abordables auprès de galeries présentes sur les réseaux sociaux.
Ce renforcement des ventes en ligne a nécessité une bonne dose d’adaptabilité de la part des acteurs qui ont dû comprendre les habitudes de leur nouveau public. Par exemple, la fidélité des acquéreurs pour telle ou telle galerie s’est avérée un paramètre particulièrement fluctuant sur Internet. Les acquéreurs passant rapidement d’une plateforme à l’autre et passant à l’achat sans considérer l’enseigne qui mettait l’œuvre en vente.
Les galeries nouvellement présentes sur Internet ont également dû adapter leur parcours de vente aux appareils mobiles pour rencontrer leur public puisque les achats sur Internet ont principalement été effectués à partir de téléphones et de tablettes.
L’utilisation des réseaux sociaux est une autre habitude de consommation à laquelle les vendeurs d’art ont dû se plier. Et plus précisément, il est apparu qu’Instagram s’est imposé comme la plateforme plébiscitée par les millenials pour découvrir le monde de l’art et s’informer sur le marché.
Enfin, les observations du développement du marché en ligne ont aussi mené au constat que les achats en période de Covid ont été effectués de façon engagée. En effet, la motivation première de ce jeune public répondait à la volonté de venir en aide à un secteur en péril.
Effet N°2 : Les nouveaux prodiges bousculent l’ordre établi
Le mouvement opéré sur Instagram a également rapproché la nouvelle génération d’artistes d’un public nouvellement acquis.
Cette mise en relation sans intermédiation a contribué à évincer les galeries spécialisées qui jusqu’alors jouaient un rôle de facilitateur entre acheteur et artiste.
Ce mouvement dans l’ordre établi a ainsi permis aux artistes de devenir des influenceurs capables de promouvoir, eux-mêmes, la démarche artistique qui les anime.
Cependant, il faut garder en considération que les technologies digitales rencontrent une limite : le manque de ressenti émotionnel suscité par le rapport physique à l’objet.
En effet, 47% des collectionneurs nouvellement acquis témoignent de leur besoin de contempler l’œuvre physique avant de concrétiser un achat.
Pour autant, les ventes d’art en ligne ont connu un engouement sans précédent, affichant une croissance de 72% pour un montant de vente atteignant 6.8 milliards de dollars.
En conclusion, il appartient aux acteurs établis de travailler l’expérience digitale qu’ils proposent pour parer aux limites de la technologie.
Par exemple, pour convertir davantage de millenials, ils peuvent sélectionner des œuvres qui rencontrent les préférences de ce nouveau public ou offrir une expérience utilisateur qui compense l’absence de contact “physique”.
Effet N°3 : Résultats mitigés et tendance pérenne
Bien qu’elles aient réagi rapidement, la situation des lieux de vente après cette crise sanitaire est mitigée.
Ainsi, si les grandes maisons de vente ont pu déployer les moyens nécessaires pour adapter leur modèle et assurer le maintien de leurs activités ; de nombreux “petits” acteurs, privés de leur public, des foires, des achats effectués par les musées et des revenus locatifs de leurs espaces, ont malheureusement dû mettre la clé sous la porte.
Pour ceux qui sont passés au travers des difficultés, la digitalisation du modèle de vente s’est avérée être un pari gagnant.
En développant les “viewing rooms”, les maisons de ventes et galeries ont pu compter sur les millenials pour rattraper leur retard sur les “pure players” déjà bien installés sur Internet.
Sur ce point, la maison de Patrick Drahi a mené la course en tête, réalisant à elle seule 65% des 671 millions de dollars de vente en ligne totalisés.
La vision d’avenir des acteurs ayant opté pour la digitalisation de leur business est encourageante. 80% d’entre eux estiment que les résultats inattendus obtenus suite à leur virage numérique traduisent une tendance pérenne et laisse entrevoir des progressions possibles dans les années à venir.
Pour que ce constat prometteur se concrétise, il sera indispensable aux marchands d’art plus modestes de prendre la mesure des défis liés à la numérisation, comme trouver leur place dans un contexte de concurrence globalisée.
En outre, il leur sera d’une absolue nécessité d’adopter des protocoles de transport et d’installation adaptés à la fragilité des produits qu’ils commercialisent. La mise en place de partenariat avec des prestataires spécialisés dans la logistique, l’emballage ou l’entreposage d’œuvres d’art devra donc être étudiée avec soin pour assurer la satisfaction des collectionneurs les plus exigeants.